Ministères de femmes : schisme au sein de la Christian and Missionary Alliance

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C’est une nouvelle division au sein d’une dénomination que connaît le monde protestant évangélique américain. Récemment, la Christian and Missionary Alliance (CMA) a décidé d’autoriser l’ordination de femmes en tant que pasteurs, un choix contesté par huit congrégations qui ont préféré se séparer de l’Alliance.

Du 29 mai au 2 juin dernier, les délégués au Conseil général de la CMA avaient rendez-vous pour une convention historique. Pour la première fois depuis 1966, ils ont mis à jour leur Déclaration de foi, et à cette occasion ils se sont prononcés sur plusieurs recommandations soumises à leurs votes, dont celle en faveur de l’ordination de femmes au ministère pastoral, souligne un communiqué publié sur le site de l’Alliance le 3 juin.

Les délégués qui représentent 414 000 membres et 2 000 congrégations à travers les États-Unis ont voté à plus de 60 % chacune des trois recommandations présentant cette possibilité. Il est à noter qu’elle figure dans un document qui maintient le point de vue historique de l'Alliance concernant l'inerrance et l'inspiration verbale des Écritures, ce qui indique que l’Alliance considère que le ministère féminin n’est pas contredit par la Bible.

Ordonnées selon les congrégations, mais pas pasteurs responsables

Selon le communiqué de la CMA, la fonction de pasteur principal sera toujours réservée aux hommes, tandis que les femmes pourront être ordonnées, à la condition que leurs congrégations l’acceptent :

"Les recommandations adoptées soutiennent que les anciens dans les églises de l'Alliance sont composés du pasteur principal, d'anciens laïcs élus et d'autres membres masculins du personnel ministériel agréé, comme cela est jugé approprié par l'église locale. En outre, les délégués ont approuvé que la désignation Consacré et ordonné soit utilisée pour indiquer l'approbation de la dénomination sur tous les employés officiels, hommes et femmes, qui répondent aux qualifications énoncées pour le ministère de l'Alliance et qui ont terminé avec succès le processus de consécration et d'ordination décrit dans le document Manuel de l'Alliance Chrétienne et Missionnaire. Les employés officiels peuvent également porter le titre de pasteur ou de révérend pour des rôles ministériels spécifiques, à la discrétion des dirigeants de l'église locale."

Dans le détail, la Recommandation 4, adoptée par 63,16 % des délégués, est celle qui ouvre la voie à l’ordination et non plus seulement la consécration comme c’était jusque-là le cas.

Selon la Recommandation 5, adoptée à 63,39 % des voix, cette possibilité laissée aux congrégations vise à laisser aux fidèles le choix en fonction de leur compréhension de la Bible concernant les critères de l’ordination pastorale :

"Le titre de pasteur, à l’exception du pasteur en chef, peut être utilisé par une église locale pour désigner ses employés masculins ou féminins si leur conception de la Bible le leur permet."

C’est la Recommandation 6 qui a obtenu le plus de voix favorables, avec 71,47 % des délégués qui estiment que "si le terme 'révérend' doit être attribué à toute personne consacrée et ordonnée, les congrégations détermineront comment ce titre sera utilisé dans leurs contextes".

Critiques et rupture

Invités à défendre leurs choix avant chaque vote, les délégués ont avancé des arguments, même indépendamment de leur genre, une femme s’opposant par exemple à ces recommandations.

Parmi les partisans de la Recommandation 4, Rob Bashioum, pasteur principal de l’église Salem Alliance en Oregon, qui a exhorté les délégués à aller vers "l’unité, et non pas l’uniformité". Il a mis en avant l’impact de leurs décisions sur les églises au niveau local. Il est rejoint en cela par Jennifer Roth, une femme consacrée de sa congrégation qui estime que ces restrictions font que la CMA perd des jeunes. Krista Lain, une aumônière, a mis en avant le fait de ne plus avoir à toujours expliquer ce que signifie "consacré".

Dans le camp des opposants aux trois recommandations, Dylan Valliere, pasteur principal de Faith Chapel dans le Wisconsin, estimé qu’elles contredisent "le consensus écrasant de l’Église dans le monde à travers les époques et les cultures depuis 2 000 ans".

Sandy Rose, épouse du pasteur principal de Living Hope Alliance dans le Dakota du Sud, a critiqué les motions en mettant en avant son identité de femme en disant que cela prémunirait ses arguments de l’accusation de sexisme :

"Je le fais au nom de beaucoup de gens dans cette salle qui se soucient bibliquement de cette question, mais qui ont peur d’être étiquetés comme misogynes s’ils adoptent une position différente."

Les modifications de la Déclaration ont conduit huit congrégations à quitter la CMA. La première à avoir fait ce choix est l’Alliance Bible Fellowship, en Caroline du Nord, dont les anciens ont voté à l’unanimité en faveur de leur séparation dès juillet. Son pasteur principal, Scott Andrews, a déclaré que la choix n’avait pas été facile et constitue un sujet de tristesse, et a dénoncé "une étape importante sur le chemin de l’égalitarisme, qui élimine toute distinction de genre dans les rôles des hommes et des femmes dans l’Église". Andrews a mis en avant une autre conception du complémentarisme sexuel :

"Si vous fréquentez Alliance [Bible Fellowship] depuis un certain temps, vous savez probablement que nous sommes complémentaires. En termes simples, cela signifie que nous croyons que les Écritures enseignent clairement que les hommes et les femmes sont créés de manière égale à l’image de Dieu – avec une dignité, un but et une valeur qui sont égaux. Mais nous croyons également que Dieu a créé des hommes et des femmes avec des rôles différents mais complémentaires. De tels rôles n’ont rien à voir avec la supériorité – simplement des rôles liés au bon fonctionnement du foyer et de l’Église. Ce qui signifie, entre autres choses, que les hommes sont appelés, voire ordonnés, à diriger leur famille et l’Église selon Dieu. Bien que contre-culturel, tel est l’enseignement de l’Église de Jésus-Christ depuis des millénaires, et de cette Église depuis 45 ans de son existence."

Les dirigeants de la CMA proposent une autre lecture de la Bible et disent que les divergences d’interprétations sont légitimes. Selon eux, le mot de l’apôtre Paul disant que la femme ne peut enseigner ou exercer d’autorité sur l’homme (1 Timothée 2:12) est contrebalancé par ses multiples messages permettant aux femmes d’exercer l’autorité dans les églises de son temps, par exemple Phoebé (Romains 16:1).

Des ministères de femmes déjà existants dans les congrégations de la CMA

La distinction faite entre consécration et ordination porte non seulement sur l’avenir, mais également sur des pratiques déjà en cours dans les congrégations de l’Alliance et qui peuvent être séculaires.

Le pasteur Bashioum a souligné que sa congrégation avait été créée par une femme il y a 102 ans, un peu plus de deux décennies après la création de la CMA par le pasteur Albert Simpson en 1987 qui voulait aider les immigrants, les exclus et les marginalisés. Il a ajouté que lorsque la fondatrice, Isabelle White, a demandé à Simpson de lui envoyer un pasteur, il lui mandaté une autre femme pour diriger la jeune communauté, Alice Caswell. Avant même l’autorisation par la CMA de déclarer d’ordonner des personnes des deux sexes, 14 des 25 pasteurs en titre de Salem Alliance étaient des femmes.

Dans d’autres congrégations, des femmes exercent des ministères pastoraux sans toutefois porter de titre. C’est le cas de Jennifer Ashby qui prêche et enseigne régulièrement à la Neighborhood Church dans le Maryland, baptise des gens, les marie, les conseille dans leurs temps de crises, dirige les funérailles, mais ne peut se dire "pasteur" et voit ses fonctions résumées derrière un titre de directrice.

Pour Ashby, par ailleurs membre du Conseil d’administration de la CMA, la distinction entre titre et fonction oblige à faire de la "gymnastique verbale" compliquant sa tâche et l’accès des gens à son aide, expliquait-elle il y a plus de deux ans à Christianity Today :

"Sans le langage généralement compris autour de ce que je fais, les gens ne comprennent pas comment je peux les aider. C’est l’une des grandes implications fonctionnelles de cette politique. Les gens viennent à l’église et disent : ‘J’aimerais parler à un pasteur’, et il ne leur semble pas évident qu’une directrice exécutive des ministères puisse les aider."

En mai 2021, un sondage mené en interne depuis deux ans auprès plus de 3 000 membres de l’AMC indiquait que 61 % d’entre eux estimaient que les femmes devaient être autorisées à être pasteurs et qu’aucune distinction ne devrait exister entre les étiquettes "ordonné" "consacré". Cependant, 58 % d’entre eux estimaient que seuls des hommes pouvaient être des anciens.

La décision de la CMA a précédé de peu celle de la Convention baptiste du Sud, première dénomination évangélique américaine qui, en juillet, a maintenu sa décision de février dernier d’exclure l’Église Saddleback du célèbre pasteur Rick Warren qui avait ordonné des femmes pasteurs. La Convention a, par ailleurs, modifié ses documents fondateurs pour insister sur le fait de n’attribuer le titre de “pasteur” qu’à des hommes qualifiés.

Jean Sarpédon

Crédit image : Shutterstock / Ptashkimenko

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